Lettre de Carême ou Comment se préparer à la fête de Pâques ?

 

 

IN TERRA PAX

 

 

Comment se préparer à

 

la fête de Pâques

 

  

LETTRE DU PÈRE MAXIME

 

Au moment où s'ouvre la période préparatoire du grand Carême, il y a urgence à ce que nous comprenions le sens du temps liturgique et de la pratique spirituelle mis à notre disposition. La manière de vivre ce temps n'est pas sans conséquence pour l'ensemble de l'humanité, même si peu nombreux sont ceux qui se préoccupent d'accomplir en conscience les pas et les étapes de la grande montée vers Pâques.

 

Les hommes, pour la plupart, sombrent dans l'amnésie et souffrent d'asphyxie morale et spirituelle. Ils ne parviennent plus à juguler l'hémorragie des forces vitales, ni à réfréner le découragement qui les mine. Il ne faut donc pas que, par surcroît, un zèle mal éclairé ou une recherche extérieure - recherche prisonnière des formes et du paraître, détournée de la conscience des enjeux véritables du temps présent - ne renforce, à travers les croyants qui se sentent encore concernés par ce temps liturgique du Carême, l'état de fait généralisé d'une dévitalisation de l'homme coupé de ses sources ; et cela, en cumul avec l'oubli et l'indifférence du monde face aux trésors de grâces que le Mystère pascal lui offre pour son renouvellement et sa régénération.

 

Pâques, en effet, pour ceux qui ont foi en la Résurrection, est la Fête des fêtes. Nous nous devons de nous préparer à la fête et de la fêter, non seule­ment pour nous-mêmes, mais pour le plein accomplissement de l'œuvre de Dieu. Cette fête, nous sommes appelés à la vivre en pleine conscience pour l'ensemble de la création; il importe que nous l'offrions, en particulier, à tous les hommes, croyants ou non croyants, touchés par la Bonne Nouvelle de Jé­sus, ou ignorants de cette Bonne Nouvelle, voire hostiles à celle-ci. Cette fête est, en quelque sorte, une dette de reconnaissance de la vie à la Vie, mais une dette où il n'y a rien à payer, une action de grâces où nous rendons par la joie ce qui nous est offert par la Joie.

 

Ne laissons donc pas l'humanité présente et future être frustrée de la joie d'une authentique fête. Le destin de la joie éveillée par ce que les chré­tiens appellent la Bonne Nouvelle se trouve entre nos mains. Les motifs de nous réjouir, nous les avons reçus de Dieu lui-même, mais Dieu ne peut se réjouir à notre place : nous sommes sa joie! Or, pour être la joie, il faut que celle-ci trouve son impulsion en nous-mêmes, en la force de notre désir de vivre, et non en quelque chose ou quelqu'un d'extérieur. Nous devons trouver, au plus profond de qui nous sommes, l'impulsion de répondre à la joie par la joie. A l'heure actuelle, toute pratique spirituelle nous écartant des sources de la joie nous met en danger. Sacrifier à une discipline personnelle ou collective, plier sous le sens abstrait du devoir à seule fin d'être trouvés conformes à la force ou à la beauté d'un idéal séduisant mais impuissant à communiquer le goût et le parfum de la vie, est, de nos jours, un véritable suicide. Ce genre de démarche, si bien intentionnée soit-elle, ne fait que renforcer, par son inconscience, l'ir­réligion du monde, le travail de sape des valeurs humaines et spirituelles dont nos sociétés sont victimes, la dissolution des mœurs, la perte du sens de la vie et de la dignité intrinsèque de chaque personne. Il ne faut pas permettre que, par une violence obscure, cachée au fond de l'âme, ou par un esprit de divi­sion et de condamnation, nous aggravions à la violence à laquelle notre monde est en proie.

 

Si notre Carême est compris comme un temps de préparation à la fête de Pâques, mettons à profit ce temps pour apprendre à nous réjouir. Appre­nons d'une vraie joie le sens de la fête. Apprenons d'une vraie fête le sens de la joie. Apprenons, par une vigilance accrue sur le sens de la vie dans notre vie quotidienne, à célébrer une fête digne de ce nom. Apprenons à être nous­mêmes la joie de la fête. Pour ce faire, une triple vigilance s'impose. En effet, si nous désirons vraiment être éveillés, commençons par nous pencher sur notre mémoire, car il importe de lui rendre sa place et sa vitalité dans le discerne­ment que nous opérons sur chaque chose. Nous devons, en second lieu, être attentifs à ne pas éteindre la mèche qui fume, ce qui revient à ne pas écraser les pousses d'espérances. Enfin, il nous faut veiller à exercer de manière active un discernement sur les sources de la joie.

 

1. Souviens-toi !

 

Avant toute chose, souviens-toi de qui tu es, non de ce que tu parais ou de ce que tu représentes aux yeux des hommes, mais de ta véritable origine, de ta di­gnité foncière et de ta vocation sur cette terre. Pour cela, souviens-toi en premier lieu de ta mémoire. N'oublie pas que ton esprit jouit ici d'une capacité exception­nelle, que non seulement tu négliges, dans la vie courante, mais dont tu ignores l'importance et la portée, car la mémoire est ce qui te relie intérieurement à la ra­cine de toute connaissance. La mémoire n'est pas simplement un engrangement des con-naissances acquises, mais une participation active à l'acte de connaître. Elle est une plongée à l'intérieur de soi pour apprendre à connaître toute chose de l'in­térieur, comme si l'acte qui connaît les choses n'était pas étranger à l'acte qui les crée. La mémoire intérieure est, en effet, la connexion à l'impulsion originelle de la création, non par retour au passé, mais par éveil à la profondeur et à l'intensité du présent. La véritable mémoire est une pénétration au cœur du mystère de la présence : présence à soi, présence à Dieu, présence aux êtres. Dans la mémoire intérieure, tous les instants du temps sont présents les uns aux autres, parce que l'esprit est présent à l'impulsion de vie qui transcende les temps.

 

Combien d'êtres ne savent pas ce qu'ils font ou ce qu'ils disent : ils ne sont présents ni à ce qu'ils font ni à ce qu'ils disent, parce qu'ils ne sont pas présents à eux-mêmes ; ils ont, en fait, perdu la mémoire de qui ils sont. En tout premier lieu, ils ont perdu l'évidence qu'ils sont, et surtout l'évidence qu'ils sont vivants. Qu'est-ce qui peut nous raccrocher à l'évidence que nous sommes vivants, si ce n'est la mémoire spécifique de la vie qui est en nous ? Pour pouvoir se souvenir de la vie, il faut aussi percevoir que cette vie, à l'œuvre en nous, dispose d'une mémoire propre; ou plutôt il faut percevoir que la vie constitue, par elle-même, une mémoire, celle des origines. Toute vie, en effet, est reliée à son principe ou à ses origines par une mémoire intrinsèque. La perte de conscience de ses origines est déjà, en soi, le signe que nous ne sommes plus tout à fait vivants. Perdre cette mémoire ou se laisser abuser par de fausses mémoires, c'est-à-dire par des réma­nences illusoires du passé - des rémanences sans âme -, c'est perdre contact avec l'impulsion de la vie con-tenue dans le mystère des Origines.

 

Le temps du Carême peut être un temps propice à nous « rafraîchir la mé­moire » et, au besoin, à nous aider à retrouver la mémoire, notre mémoire vérita­ble, non par un retour introverti sur soi ou une macération dans tous les soucis que nous voudrions oublier, mais, au contraire, par une préparation active à la fête. La mémoire cumulative de nos épreuves, de nos limites, de nos difficultés, de nos angoisses peut être de l'ordre des fausses mémoires, si elle nous induit à tour­ner en rond et à nous faire oublier la force créatrice qui nous permet de rompre tous les cercles vicieux. Par contre, la mémoire d'une fête véritable est le contraire d'un divertissement ; elle est l'élargissement du champ de notre vision au-delà du temps où nous nous trouvons enfermés. Il n'existe pas de fête authentique sans une connexion à la mémoire de la vie. L'acte liturgique par excellence, au cœur de toute célébration festive, est l'acte du mémorial. Il ne consiste pas à se déporter dans une agitation extérieure, par un enthousiasme trompeur, mais à vivifier le temps qui est le nôtre. La fête n'est pas un éclatement de soi-même, mais un écla­tement des limites carcérales de la temporalité des hommes. Fêter Pâques, c'est, au sens fort du terme, « faire mémoire », ainsi que Jésus l'a commandé à ses disciples lorsqu'il leur disait : Faites ceci en mémoire de moi. La Pâque est la mé­moire active - c'est-à-dire agissante - de la libération de l'homme, de sa filiation di­vine, de sa participation à l'œuvre co-créatrice. A ce titre, elle relance le temps à partir de l'impulsion initiale de la création, elle offre à l'homme une nouvelle chance pour accéder à son potentiel divin et pour travailler à son évolution sur cette terre, tout en participant à l'édification d'un monde transparent à la grâce et porteur des signes de la paix.

 

Le temps de Carême peut donc être un temps de vigilance où nous luttons activement contre l'endormissement spirituel, l'anesthésie de nos sens intérieurs et extérieurs, l'endurcissement de notre cœur, la pétrification de nos schémas mentaux, la volonté de ne rien voir ou de ne rien sentir pour ne pas souffrir et ne pas pleurer. Il peut être un temps où nous réapprenons, dans la sobriété de l'es­prit, à goûter ce qui a du goût pour ne pas oublier le goût de la vie. Il peut être un temps où, selon la formule, nous consacrons du temps au temps, où nous ne crai­gnons pas de perdre du temps pour ne pas nous fuir dans des activités qui nous dénaturent, nous alourdissent ou nous aliènent : un temps de méditation, de lec­ture, d'écoute, de retour aux sources, dans le sens le plus noble qui soit. Il peut être un temps de réconciliation avec ce que nous avons rejeté dans le passé, avec ce que nous ne voulons pas voir dans le présent et n'osons pressentir dans l'ave­nir. Il peut être un temps où nous apprenons à ne pas rejeter la perspective de ce que les hommes appellent la mort, pour nous permettre de nous réconcilier, en vérité, avec le mystère de notre naissance sur cette terre, et pour nous conduire à risquer le pas de la foi, celui de la naissance intérieure à soi-même et à Dieu. Le temps du Carême peut représenter, sur le cycle de l'année, ce que la préparation du Shabbat est à la semaine et au Shabbat lui-même : un temps où nous nous consacrons activement à trouver les moyens et les raisons de nous réjouir pour Dieu, un temps où nous habillons notre cœur pour entrer dans la joie de Dieu, un temps de fiançailles où l'exercice de la mémoire est facile, car il n'est autre que le souvenir de l'Aimé.

 

2. N'éteins pas la mèche qui fume !

 

Nous connaissons ce dicton populaire: Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir. Or, si toute espérance se fonde sur une foi en la vie, et si l'espérance en la Résurrec­tion se fonde sur une foi en l'énergie créatrice de la Vie, alors, en ces jours où nous ressentons souvent si clairement l'amenuisement des ressources vitales de l'homme et de son environnement, toute forme de vie, toute « pousse de vie », mérite un immense respect. Il importe de nous pencher avec une profonde considération sur le potentiel divin que représente toute manifestation de la vie, si humble soit-elle.

 

Dans notre préparation à la Pâque, le respect quotidien de la vie doit prendre un relief plus net et plus décisif. Le souci d'une ascèse traditionnelle est de réfor­mer la vie, en vue d'une plus grande clarté de l'âme et du cœur : on émonde, on taille, on ligature, on redresse, on cautérise. Le souci d'une ascèse contemporaine devrait être d'encourager la vie. Les mêmes gestes prophylactiques ou thérapeuti­ques sont possibles, à condition qu'ils ne soient pas dictés par la méfiance, le mé­pris, le soupçon ou l'esprit de domination à l'égard de ce qui est vivant, en parti­culier à l'égard du corps. En effet, la vitalité actuelle des hommes n'est pas assez grande pour qu'ils aient pleinement accès à leur capacité d'espérer. L'espérance est entamée sur tous les fronts ; aussi faut-il ne pas négliger ou détourner le moindre filet de vie qui coule en nous ou autour de nous. De la plus petite aspira­tion à la vie, de la plus frêle manifestation du désir de vivre, peuvent repartir de grands projets et grandes réalisations.

 

Notre monde qui s'érige sur la conquête et la conquête des moyens de conquête, qui fonde sa crédibilité sur le confort et les marques extérieures du bien- être, n'a pas le goût des privations volontaires. Mais, à mesure que croissent les satisfactions des multiples besoins que l'homme se crée, grandissent aussi les frustrations et les déceptions. A mesure que l'homme s'invente des moyens pour combler ses manques, meurt en lui la capacité fondamentale de désirer. Privé d'un véritable désir de vivre, l'homme « consomme » mais ne goûte pas.

 

Toute l'ambiguïté de l'homme, face à son désir de vivre, transparaît dans sa relation au corps. Il y a deux manières de maltraiter son corps : soit en lui infligeant des sévices, comme s'il était la cause de l'obscurcissement de l'âme, soit en lui portant un soin excessif comme s'il fallait prévenir en lui la cause fondamentale de notre mal-être et de notre inconfort. Dans les deux cas, la maltraitance du corps vient d'une dissociation de l'âme et du corps. Le corps est ignoré en tant que corps, c'est-à-dire en tant que manifestation privilégiée de l'esprit. On ne le considère que dans son aspect extérieur, c'est-à-dire dans les avantages immédiats qu'il procure ou dans les sources de désagrément moral ou physique qu'il représente.

 

L'obscurcissement de l'âme ne vient pas du corps en tant que tel, mais de la séparation que l'on maintient entre l'âme et le corps. De même, l'inconfort et le mal-être ne viennent pas du corps en tant que tel, mais de la négation de l'âme qui vivifie le corps. Le corps n'est pas source de division, mais au contraire lieu d'unité, de réconciliation et de communion. La source de toute division est dans le regard de duplicité ou de négation que l'on porte sur les êtres et les choses. Par contre, le corps manifestera toutes les divisions qui sont en nous, car il n'existe aucune distance entre la réalité fondamentale du corps et celle de l'esprit. Ainsi que le dit l'Évangile, Si ton œil est simple, ton corps tout entier sera lumineux. Mais si ton œil est malade, ton corps tout entier sera ténébreux (Mt. 6, 22-23).

 

Respecter la vie qui est en soi, c'est être attentif à son corps, non pour l'as­sujettir, ni pour l'idolâtrer, mais pour recevoir par lui et à travers lui les messages de l'esprit : déchiffrer la réalité profonde qui nous habite et en qui nous habitons, goûter la vie à sa source et trouver de nouveaux motifs d'espérer. Il ne s'agit pas d'affamer notre corps, pour le dévitaliser et anéantir les pulsions dont il est le siège ; il s'agit encore moins de le saturer par la quantité des substances qu'il ne peut assimiler ou par la brutalité des émotions qu'il ne peut intégrer - comme si l'intensité de la vie passait par cette sournoise violence que l'on inflige au corps - ­; il s'agit au contraire de lui permettre d'exprimer ce qu'il doit nous traduire de la vie : la sensation fondamentale que nous sommes vivants. La violence que l'on inflige au corps, soit en le niant, soit en le cultivant comme un objet, soit en le ga­vant, vient de ce que nous ne voulons rien sentir de ce qu'est la vie. C'est la peur de la vie qui se trahit dans la négligence faussement ascétique du corps, dans le culte de son apparence et de son confort extérieurs, ou dans la boulimie laxiste qu'on lui inflige.

 

Nous préparer à la fête, c'est savoir que la moindre fleur peut contribuer à un bouquet, le moindre parfum à un rêve, le moindre souhait à une terre nouvelle, le moindre désir à de nouveaux cieux.

 

3. Discerne les sources de la joie !

 

Rien n'est plus nécessaire à la respiration de l'âme que la joie ! Les hommes pensent qu'il leur faut « faire la fête » pour produire de la joie. Ils recherchent les motifs de la joie dans les divertissements, les amusements, les plaisirs qu'ils se donnent. Ce faisant, très souvent, ils tournent le dos aux vraies sources de la joie. Leurs fêtes ont un goût de cendre ; leurs divertissements les laissent seuls, leurs amusements, désabusés, leurs plaisirs, amers et insensibles. Nombre de fêtes sont vides de sens parce que les hommes viennent y chercher la joie qu'ils n'ont pas, alors qu'il leur faudrait au contraire participer à ces fêtes avec la joie qu'ils ont et qu'ils sont.

 

Se réjouir à la fête, ce n'est pas y produire de la joie, mais y partager de la joie.

 

Ce n'est pas la fête qui produit la joie, mais la joie qui produit la fête. Par contre, lorsque la fête se produit, elle magnifie la joie qu'on y apporte. Ainsi, dans la Para­bole du fils prodigue, le fils aîné se tient à distance de la fête, parce que la joie n'est pas dans son cœur. Inversement, le père ordonne de festoyer parce qu'il est tout à la joie d'avoir retrouvé son fils. Voilà pourquoi le père dit au fils aîné : il fallait bien festoyer et se réjouir, puisque ton frère que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ! (Lc 15, 32).

 

La vie est en elle-même la source et le motif de la joie. Dès lors, tout ce qui donne la vie et tout ce qui vivifie - à commencer par le pardon et la miséri­corde - est source et motif de joie. Au début de ce même évangile de Luc, évan­gile qui, à bien des titres, porte heureusement le nom d'Évangile de la joie, l'ange dit aux bergers : Ne craignez pas, car voici que je vous annonce la bonne nouvelle d'une grande joie - celle-ci sera pour tout le peuple -: Il vous est né aujourd'hui, dans la cité de David, un SAUVEUR qui est CHRIST SEIGNEUR (Lc 2, 10). La véritable impulsion de la joie est tout entière contenue dans cette naissance, car la naissance est le miracle de la vie qui nous permet d'entrer le plus adéquatement possible dans l'intelligence de ce que signifie donner et recevoir la vie. Ici, le titre de Sauveur correspond à la vie donnée, car le salut est un don de vie et de liberté ; Christ est le titre qui correspond à la vie reçue, car l'Oint de Dieu est celui en qui repose la plénitude de l'Esprit ; quant au titre de Seigneur, on y peut voir l'unicité et l'unité de la vie donnée et reçue, du don et de la réception, dans la mesure où Seigneur traduit le vocable biblique sous lequel se révèle le mystère d'unité et d'identité contenu dans le Nom divin : Je suis.

 

II y a joie, lorsque la vie est donnée ! Il y a joie, lorsque la vie est reçue ! Et cela, dans la mesure où le don trouve sa perfection et son achèvement dans la réception, alors que la réception trouve sa plénitude dans le don. Bref, il y a joie lorsqu'il y a vie, c'est-à-dire identité profonde de l'acte de donner et de l'acte de recevoir.

 

Rien n'est plus inconcevable que de produire la joie, car la vie elle-même ne se produit pas. Nulle technique, nulle volonté extérieure ne peut y parvenir. La joie ne se décide pas, ne se commande pas, ne se produit pas : elle se reçoit et se donne. La joie, en effet, se déploie dans l'authenticité de la vie. C'est elle qui té­moigne que, si le don et la réception sont deux modalités fondamentales de la vie, il ne peut y avoir de vie authentique sans amour. Autrement dit, c'est par la joie que nous touchons à l'unité de l'amour et de la vie, car la joie procède de cette unité. Le don véritable est gratuit, la réception pure est spontanée. La qualité du don n'est pas liée à ce que l'on donne ; la qualité de la réception n'est pas liée à ce que l'on reçoit. Gratuité et spontanéité sont des qualités premières du don et de la réception, et, par conséquent, deux manifestations privilégiées, dans le quoti­dien de la vie, de ce qu'est l'amour. Nous mesurons combien un être est vivant et combien la vie est à l'œuvre à travers lui, à la gratuité de ses gestes et à la sponta­néité de son ouverture aux autres. Dans la gratuité et la spontanéité de la joie, nous trouvons la force de croire en la vie, car nous y reconnaissons l'impulsion fondamentale de l'amour.

 

La première source de la joie est à discerner en nous-mêmes, au cœur de ce que nous éprouvons être la vie. C'est là qu'il importe de préserver la mémoire de qui nous sommes et de développer toute forme de perception et de sensation qui nous connecte à nous-mêmes, à notre être profond. Il nous faut, ici, éliminer les poches de tristesses - chagrins, rancœurs, ressentiments, déceptions, hontes, regrets - comme autant de filtres qui s'appliquent sur la sensibilité de notre âme, comme autant de poisons qui engourdissent le corps et l'esprit : ne pas croire que ces points d'ancrage de la douleur peuvent nous donner des raisons d'exister, nous dédouaner face à l'attente des autres ou nous fournir des alibis pour ne plus grandir dans la vie.

 

La seconde source importante est dans tout ce qui nous relie les uns aux autres - les êtres proches comme ceux que l'on croit étrangers -, ainsi que tout ce qui nous relie à la nature. Ici, un filon inépuisable est à notre disposition, bien que nous ne le remarquions pas souvent. Il consiste à nous réjouir de la joie des autres : mettre notre joie dans tout ce qui constitue pour les autres un motif de se réjouir. C'est le « liant » de la fête, précisément ce qui magnifie le peu de joie que l'on y apporte. De même, toute la vie, la beauté, la force, la douceur, l'immensité, l'intimité, la présence, que nous ressentons au contact de la nature, est propice à éveiller notre joie.

 

Mais il importe aussi de ne pas oublier la joie de Dieu. En effet, Dieu est joie et trouve en sa création les plus inépuisables motifs, non seulement de se réjouir, mais de communiquer à l'infini cette joie qu'il est. A cet égard, la plus grande révélation pour chacun d'entre nous est de pouvoir éprouver que nous sommes aussi pour lui cette joie ; c'est peut-être là l'ultime réconciliation avec nous-mêmes. Les paroles entendues par le Baptiste au sujet de Jésus, Voici mon fils bien aimé en qui j’ai mis toute ma complaisance, résonnent jusqu'à nous, et d'une certaine manière, nous enveloppent pour nous y inclure.

 

Lorsqu'une fête nous attend, il s'agit de nous y préparer ; mais pour s'y pré­parer adéquatement, il nous faut connaître le motif et la teneur de l'invitation à cette fête. Or, précisément, en invitant les hommes à sa Pâque, Dieu nous invite, dans la révélation du Mystère du Christ et la manifestation des signes de son Royaume, à participer à une fête qui unit le ciel et la terre, à seule fin d'y magnifier notre joie par sa joie. Aussi, la plus belle manière de nous préparer à cette fête, au cours du temps de Carême qui s'ouvre pour nous, est de chercher - si cela est pensable - à mettre un comble à la joie de Dieu en formant un bouquet de toutes nos joies humaines, sans exception, afin de les laisser être magnifiées par la joie divine.

Lettre de Carême ou Comment se préparer à la fête de Pâques
2016 - Carême ou Comment se préparer à f
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